Bloc-notes Éco

Vers une communication claire, cohérente et inclusive pour la BCE

Mise en ligne le 9 Décembre 2021
Auteurs : Klodiana Istrefi, Adrian Penalver, Katrin Assenmacher, Gabriel Glöckler, Sarah Holton

Billet n°244. Pour garantir la compréhension et la confiance du grand public, la BCE doit mieux expliquer ses activités. Dans cette optique, en juillet 2021, le Conseil des gouverneurs a modernisé sa communication afin d’avoir une plus forte influence sur les anticipations de taux d’intérêt et d’inflation. La BCE va également être davantage à l’écoute des préoccupations économiques des citoyens.

Image Graphique 1 : Soutien élevé en faveur de l’euro et redressement lent de la confiance dans la BCE Source : Eurobaromètre.
Graphique 1 : Soutien élevé en faveur de l’euro et redressement lent de la confiance dans la BCE Source : Eurobaromètre.

Notes : Confiance nette = % de personnes indiquant qu’elles ont confiance dans la BCE moins celles indiquant leur absence de confiance. Soutien net en faveur de l’euro = % de personnes qui soutiennent l’euro moins celles qui ne soutiennent pas l’euro.

En 1991, on avait demandé à Paul Volcker, ancien président de la Réserve fédérale des États-Unis, quel conseil il donnerait à un banquier central fraîchement nommé. Sa réponse tenait alors en trois mots : garder le mystère. À l’époque, les banques centrales s’entouraient de mystère et les marchés financiers devaient deviner les décisions prises. Aujourd’hui, les banques centrales annoncent immédiatement après leur réunion leurs décisions de politique monétaire et les raisons les motivant. Elles ont compris que, pour piloter plus efficacement les anticipations de taux d’intérêt et d’inflation, elles doivent informer le public de leurs intentions et les justifier. Mais dans l’environnement actuel, cela ne suffit pas, car la politique monétaire est devenue plus complexe et le paysage de la communication – avec les réseaux sociaux notamment – s’est profondément transformé. Par conséquent, le réexamen de la politique de communication de la BCE a constitué un élément essentiel de l’évaluation stratégique récemment conclue. Les éléments qui plaident en faveur d’une communication plus simple, plus claire et plus accrocheuse sont présentés dans l’Occasional Paper n° 274 de la BCE.

La BCE communique efficacement avec les marchés financiers...

La communication relative aux mesures de politique monétaire est traditionnellement centrée sur les marchés financiers, très intéressés par une connaissance détaillée des activités de banque centrale et qui réagissent instantanément. Des études montrent que la communication de la BCE a largement réussi à influer sur les anticipations des marchés financiers concernant l’orientation future de la politique monétaire. C’est particulièrement le cas pour la forward guidance sur les taux d’intérêt, par laquelle la banque centrale donne aux marchés des indications sur l’orientation future attendue des taux d’intérêt. Des études montrent par exemple que certaines formes de forward guidance dépendantes du calendrier ou des données ont réussi à rassurer les marchés sur le fait que les taux resteraient bas lorsque l’économie est proche du plancher effectif des taux d’intérêt nominaux (Ehrmann et al., 2019). La forward guidance a également accru l’efficacité de la communication de la BCE sur l’inflation (Goodhead, 2021).

....mais pilote moins aisément les anticipations des ménages et des entreprises

En revanche, la BCE a moins bien réussi à influencer les anticipations d’inflation des ménages et des entreprises vers des niveaux compatibles avec son objectif d’inflation. Les consommateurs européens perçoivent une "inflation" supérieure à celle tirée des mesures officielles (jusqu’à 4 % plus élevée, par exemple, sur la période 2009-2016) (Duca-Radu et al. 2021). Ces croyances sont importantes car les modifications d’anticipations influent sur les décisions économiques. Par exemple, les ménages qui anticipent une hausse des prix dans le futur ont tendance à consommer davantage que ceux qui anticipent une stabilité (Andrade et al., 2020).

L’intérêt limité des ménages et des entreprises à l’égard des informations concernant la politique monétaire et l’inflation constitue un défi majeur pour les banques centrales (Vellekoop et Wiederholt, 2017). Dans les pays où l’inflation est basse et stable, ménages et entreprises ont peu de raisons de s’inquiéter de l’inflation. En effet, c’est l’un des avantages, en termes de bien-être, d’une inflation stable. Les ménages s’en soucient encore moins lorsqu’ils ne savent pas exactement quels sont le mandat et les missions de la BCE, ni dans quelle mesure ses actions influent sur leur vie personnelle. Candia et al. (2020) montrent que, pour avoir une plus grande influence sur les entreprises et les ménages (et faire évoluer leurs anticipations dans la direction souhaitée), les banques centrales doivent expliquer comment leurs actions influent sur d’autres objectifs économiques, c’est-à-dire expliquer les effets de la politique monétaire sur les salaires et sur l’emploi. Cela étant, compte tenu de sa complexité, le "langage de banque centrale" est difficile d’accès pour le plus grand nombre. Comme le fait remarquer Haldane (2017), "95 % de l’ensemble des mots prononcés par les banques centrales ne sont pas compris par 95 % environ de la population".

À ces difficultés viennent s’ajouter de faibles niveaux de confiance dans la BCE depuis la crise financière. Bien que l’euro bénéficie toujours d’un soutien élevé, la confiance dans la BCE reste inférieure à ses niveaux d’avant la crise (graphique 1 ; Graphique 3, page 45, Occasional Paper n° 274). Or, la confiance du public dans la BCE est importante pour mieux ancrer les anticipations d’inflation des consommateurs à la cible d’inflation de la BCE. Les enquêtes montrent que mieux on connaît la BCE, plus on est susceptible de lui faire confiance. Et une confiance accrue en retour dans la BCE est généralement associée à des anticipations d’inflation des ménages mieux ancrées et plus exactes, c’est-à-dire plus basses (graphique 2, partie droite et Christelis et al. 2020).

Image Graphique 2 A : Connaissance de la BCE et confiance dans la BCE axe des abscisses : Score sur la connaissance de la BCE, fourchette 0-7 axe des ordonnées : Confiance dans la BCE, fourchette 0-10
Graphique 2 A : Connaissance de la BCE et confiance dans la BCE axe des abscisses : Score sur la connaissance de la BCE, fourchette 0-7 axe des ordonnées : Confiance dans la BCE, fourchette 0-10
Image Graphique 2 B : Confiance dans la BCE et inflation attendue axe des abscisses : Confiance dans la BCE, fourchette 0-10 ; axe des ordonnées : Anticipations d’inflation à 12 mois
Graphique 2 B : Confiance dans la BCE et inflation attendue axe des abscisses : Confiance dans la BCE, fourchette 0-10 ; axe des ordonnées : Anticipations d’inflation à 12 mois

Vers une communication claire, cohérente et accrocheuse

Avec la revue de sa stratégie, la BCE s’est engagée à expliquer la politique monétaire en des termes plus accessibles, afin que le public comprenne pourquoi les décisions sont prises et ce qu’elles impliquent pour lui. À cet égard, la BCE a déjà introduit une communication multidimensionnelle, combinant des informations textuelles et visuelles destinées à différents publics. Par exemple, une première "strate" apporte une vue d’ensemble facilement assimilable des principaux messages pour qui en fait une lecture rapide et une seconde "strate" est destinée à ceux qui recherchent des informations détaillées. La communication de la BCE à l’issue de chaque réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs a également été redéfinie avec une nouvelle déclaration de politique monétaire qui explique en termes non techniques comment et pourquoi les décisions ont été prises.

La communication fonctionne à double sens : les banques centrales doivent non seulement parler, mais également écouter. Ainsi, la BCE et l’Eurosystème poursuivront les consultations "À votre écoute" inaugurées à l’occasion de la revue de la stratégie. Dans ce contexte, en 2021, la Banque de France a initié un dialogue avec les citoyens français pour répondre à leurs questions sur la politique monétaire. Les événements La Banque de France à votre écoute ont eu lieu dans toute la France, accueillant près de 260 000 participants. Pour l’avenir, la Banque de France s’est engagée à mener un dialogue annuel avec les citoyens sur la politique monétaire, à être plus transparente et plus claire, et à mieux comprendre les attentes des entreprises et des ménages à travers de nouvelles enquêtes (LPR 2021). La Banque de France développe également de nouveaux outils pour extraire des réseaux sociaux l’information sur les perceptions et anticipations des ménages relatives à l’inflation.

Enfin, une meilleure connaissance de la politique monétaire pouvant conduire à une meilleure prise de décision dans le domaine financier (van der Cruijsen et al., 2020), l’Eurosystème va également intensifier ses efforts sur le plan de l’éducation financière. Ainsi, la Banque de France va prochainement créer un nouveau site internet pour expliquer la politique monétaire.