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La médiation du crédit

La médiation du crédit
Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit aux entreprises
Formation UJA Paris – 24 juin 2020


Nos entreprises ont besoin de financements bancaires pour leur activité et leur développement. La crise de la COVID 19 le montre amplement : les entreprises font face à une crise de trésorerie liée à l’arrêt total ou partiel de leurs activités : plus de cash en entrée et des sorties de cash (salaires, loyers, fournisseurs etc…).

Que représente cette crise ? quels moyens pour y faire face ? quel rôle pour la médiation du crédit.

1 – Que représente cette crise

La crise créée par le Covid-19 est inédite, c’est un choc d’une extrême violence, avec une priorité absolue autour de la gestion d’une crise sanitaire.
Au-delà de cette urgence indispensable qui a guidé les pouvoirs publics pour sauver des vies humaines, cette crise est un choc extrêmement violent pour les économies et tout le tissu productif en France mais aussi dans le monde.
Les données de conjoncture sur les mois de mars et avril sont impressionnantes avec des indicateurs de production qui ont chuté, une activité à l’arrêt dans beaucoup de secteurs.
L’ampleur du choc que nous traversons est aujourd’hui inconnu, elle était liée à la durée du confinement avec la capacité à gérer ce difficile équilibre entre la protection contre cette pandémie et l’activité économique et elle va désormais dépendre du rythme de la reprise d’activité.
Les dernières prévisions de la Banque de France tablent sur une reprise en « aile d’oiseau » : un rattrapage rapide du choc initial (10 % de baisse du PIB) puis un retour plus lent vers le niveau initial d’activité.
Pour la gestion de l’immédiat, l’intervention des États et des banques centrales a été massive et rapide, à la hauteur des enjeux car il s’agissait d’éviter de casser notre tissu économique.
La situation est très différente de la crise de 2008 qui trouvait son origine dans le système financier. Cette crise est un choc économique et les réponses apportées devaient être différentes.

2 – Quels moyens pour y faire face ?

La liquidité est là, la Banque centrale européenne fera « everything necessary within its mandate ». Le 12 mars, elle a décidé une enveloppe de liquidités massive pour les entreprises, les PME et TPE qui se financent via les banques et une enveloppe supplémentaire de 750 milliards avait été décidée mi-mars, complétée de 600 milliards début juin.
L’État est là : il s’agit de protéger les entreprises et leurs salariés avec des mesures massives pour prendre en charge le chômage partiel, reporter les échéances fiscales et sociales et enfin une garantie à hauteur de 300 milliards d’euros pour des prêts bancaires.
Les banques devront être présentes. On dit désormais qu’alors qu’elles étaient le problème dans la crise de 2008, elles sont une partie de la solution pour cette crise. Les banques sont solides, en capital et en liquidité. Dans ce contexte difficile, comme l’a rappelé le chef de l’État, les activités bancaires sont essentielles pour soutenir notre société et accompagner les clients particuliers, professionnels et entreprises dans cette période difficile.
Il n’y aucune raison de douter de l'engagement des banques pour accompagner toutes les entreprises, à commencer par les PME et TPE. Les nouveaux prêts garantis par l’État (PGE) ont été déployés : en moins de deux mois, ce sont plus de 100 milliards de crédits demandés par plus de 500 000 entreprises. C’est-à-dire que les banques ont dû traiter en 2 mois plus d’une année de leur production habituelle de crédits. C’est un effort exceptionnel qui mobilise les salariés des banques pour répondre dans des délais aussi rapides que possible.
Un tableau de bord est publié chaque semaine (tableau de bord du PGE) permettant de suivre la destination de ces prêts : à 90 % ce sont des TPE qui en bénéficient.
Les banques se sont engagées à octroyer le plus largement possible et de la façon la plus simplifiée possible le PGE aux professionnels et aux entreprises qui en ont besoin, et dont la dernière cotation de la Banque de France, ou équivalente, avant l’épidémie de Covid-19 était forte, correcte ou acceptable - soit plus de 85% des cas. Les données publiées montrent que cet engagement est respecté.
Pour tous les autres professionnels et entreprises, les banques se sont engagées à examiner, au cas par cas, leur demande, et à leur apporter une réponse dans les meilleurs délais. Les données publiées montrent que des entreprises cotées moins favorablement bénéficient également de ces PGE.
Beaucoup de débats se portent sur les refus par les banques. Ils sont aujourd’hui estimés autour de 2,5 %. Pour les entreprises concernées (plus de 12 000 si l’on se réfère à 500 000 demandes), c’est bien évidemment trop. Certes, les banques ne portent que 10 % à 30 % du risque, selon la taille de l’entreprise, du fait de la garantie de l’État, mais elles le font sans marge. On peut donc s’attendre à ce que leur refus pour ce type de prêt soit justifié par des difficultés antérieures des entreprises. Il ne s’agit pas d’endetter celles qui ne pourraient pas rembourser. Par ailleurs, les sociétés en procédure collective sont exclues du dispositif (au contraire de celles qui entrent dans le cadre d’un plan de continuation).
Les banques ont la capacité de supporter des risques supplémentaires, elles sont solides et en plus les contraintes réglementaires de Pilier 2 du Comité de Bâle ont été assouplies. En plus, le Haut Conseil de stabilité financière a décidé de relâcher intégralement le coussin de fonds propres contra-cyclique qui aurait dû passer de 0,25% à 0,50 % au 1er avril. Cela permet donc aux banques de continuer à prêter. Et c’est aussi pour cela qu’on leur demande de ne pas distribuer de dividende : les actionnaires peuvent aussi répondre au principe de solidarité.

3 – Quel rôle pour la médiation du crédit

Créée au plus fort de la crise financière de 2008, la médiation du crédit aux entreprises est un service de proximité, gratuit et confidentiel, adossé et piloté par la Banque de France au travers de son réseau de médiateurs territoriaux implantés « au plus près » des PME/TPE, directeurs de la Banque de France en métropole et directeurs des instituts d’émission en Outre-mer.
Son intervention auprès des établissements financiers est reconnue par un accord de place conclu par la Banque de France, l’IEDOM et le Ministère de l’Économie et des Finances avec la Fédération Bancaire Française (FBF) et l’Association française des Sociétés Financières (ASF), qui a été renouvelé le 16 juillet 2018 jusqu’au 31 décembre 2020. Dans sa dernière version révisée, cet accord renforce encore ses moyens de fonctionner.
- D’une part, il reconduit les dispositions prévues antérieurement pour le traitement des dossiers en médiation, dont notamment l’obligation pour les banques de maintenir, pendant la durée de la médiation, l’enveloppe de leurs crédits et de ne pas exiger de garanties personnelles ou réelles supplémentaires ; la Médiation confirmant de son côté son engagement de fonder ses recommandations sur une analyse individuelle de chaque entreprise qui la saisit et de ne pas demander aux partenaires financiers des concours leur faisant courir un risque anormal.
- D’autre part, au-delà du champ des entreprises non financières, il élargit le périmètre de saisine de la Médiation aux acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire, telle que définie dans la loi du 31 juillet 2014, dès lors qu’il existe un enjeu en termes d’emploi. Cette mesure introduit un changement important, car elle permet de traiter en particulier les cas d’associations ou de fondations, jusqu’à présent inéligibles, qui ne pouvaient, jusqu’à présent, être admises dans le cadre de la procédure.

3.1 – Que fait la médiation

Face à la dénonciation d’un découvert ou un refus de crédit bancaire pour une TPE ou une PME, et pour le moment un refus de PGE, la médiation du crédit intervient à partir d’une analyse technique individuelle de chaque entreprise et fait en sorte de rétablir le dialogue entre l’entreprise et ses banques pour conforter les financements.

- Ne pas laisser une entreprise seule face à ses difficultés : la médiation du crédit est ouverte à toutes les entreprises et tous les porteurs de projet (créateurs et repreneurs), quelle que soit leur forme juridique, leur taille et leur branche d’activité. Dès lors que des établissements financiers refusent ou résilient un financement lié à une activité professionnelle (découvert, crédit de trésorerie, équipement, crédit-bail, caution ou garantie…), le médiateur du crédit et ses services peuvent aider les chefs d’entreprise à trouver une solution. La Médiation est aussi accessible aux entreprises qui rencontrent des difficultés d’assurance-crédit (réduction ou suppression de garanties fournisseurs).
- Ne pas attendre d’être en situation d’urgence : face à une conjoncture difficile, la rapidité et la qualité de la réponse sont souvent déterminantes. Sans attendre d’affronter une crise de trésorerie et un conflit avec leurs partenaires financiers, les dirigeants d’entreprise ne doivent pas hésiter à faire appel au médiateur du crédit dès qu’ils ont identifié des risques pour leur entreprise. L’anticipation des problèmes laisse toujours des marges de manoeuvre plus grandes et l’éventail des solutions possibles est alors beaucoup plus large. Le médiateur peut prêter assistance à l’entreprise qui le sollicite en toute confidentialité et dans le respect de ses intérêts.
- Trouver des solutions concertées et adaptées à ses problèmes de trésorerie ou de financement : dès que le chef d’entreprise a déposé un dossier de saisine, les équipes de la médiation l’examinent et se prononcent sur son éligibilité. Dans la mesure où sa situation n’est pas excessivement dégradée et offre une visibilité suffisante, elles cherchent à restaurer un dialogue entre l’entreprise et ses partenaires et à rapprocher leurs positions. Sur la base d’une expertise technique, elles avancent des solutions pragmatiques, concrètes et adaptées aux cas des entreprises, pour assurer la poursuite de leurs activités. Elles peuvent soutenir la mise en place de moratoires, la restructuration de prêts ou le renouvellement de lignes de financement. Durant leur instruction les établissements financiers s’engagent à maintenir leurs concours.
- Rencontrer des interlocuteurs de proximité au service des entreprises en difficulté : les équipes départementales de la médiation sont composées d’experts financiers qui travaillent sur leurs territoires au plus près des entreprises et de leur environnement économique. Par ailleurs plus de 700 conseillers bénévoles, tiers de confiance, désignés par les réseaux consulaires, les organisations patronales et socioprofessionnelles et les réseaux d’accompagnement à la création et la reprise d’entreprise, sont à la disposition des entreprises pour leur proposer un suivi individualisé avant, pendant et après la médiation.
- Bénéficier d’une procédure gratuite, simple et rapide : pour faire appel à la médiation, les entreprises n’ont qu’à déposer un dossier de saisine en ligne avec leurs pièces justificatives sur le site : https://mediateur-credit.banque-france.fr

3.2 – Quels résultats de la médiation

Ces dernières années, dans un contexte économique plus favorable, mais encore marqué par des problèmes d’accès au financement pour certaines catégories d’entreprises, notamment les plus petites, la médiation du crédit a continué à faire preuve de sa capacité à accompagner les TPE et des PME qui la sollicitent et à répondre à leurs besoins.
La médiation du crédit a maintenant 11 ans. C’est un succès puisque dans deux tiers des cas où elle intervient, elle parvient à trouver des solutions et à éviter le recours à des procédures judiciaires. Depuis son lancement en 2008, la médiation à fin décembre 2019, ce sont trois chiffres :

  •  7,4 milliards d’euros de crédits débloqués (financements rétablis ou nouveaux prêts mis en force),
  • 23 802 entreprises confortées dans leurs activités (dont 80% de TPE),
  • et 421 626 emplois préservés.

Le rôle de la médiation demeure identique dans le contexte particulier de cette crise. Elle doit trouver des solutions entre les entreprises qui ont des refus de crédits des banques ou des réductions de limites des assureurs-crédit. Des premières statistiques hebdomadaires ont été publiées pour rendre compte des actions de la médiation, qui a été fortement sollicitée en avril et mai. Sur l’ensemble des 2 mois, 6 402 entreprises ont été éligibles à la médiation du crédit, ce qui représente six fois plus que les demandes de médiation traitées au cours de toute l’année 2019.
85% des entreprises concernées sont des TPE (de moins de 11 salariés). Dans 40 % des cas les demandes de crédits sont inférieures à 50.000 euros.
Les entreprises qui ont saisi la médiation au cours ont une situation financière généralement dégradée, avec souvent des capitaux propres négatifs.
Elles ont quasi exclusivement été confrontées à des refus de Prêts Garantis par l’État (PGE).
Les montants cumulés de crédits demandés atteignent 1,2 milliard d’euros fin mai, montant qui demeure toutefois faible comparé aux demandes de PGE déposées dans les banques puisque l’on est dans un ordre de grandeur de moins de 1,1 %. Le secteur qui sollicite le plus la médiation est celui des services (pour 54 %), et en son sein les entreprises de l’hébergement/restauration (19 %), ainsi que les activités du secteur du commerce (25%), ces secteurs sont les plus frappés par le confinement.
Pour les 4 406 dossiers déjà traités au cours des mois d’avril/mai, la médiation s’est déroulée de manière positive dans 59 % des cas.
L’enjeu pour les semaines et mois à venir sera de trouver les solutions adaptées aux entreprises, à la fois pour répondre aux besoins urgents de trésorerie mais aussi pour accompagner la relance de l’activité, en apportant la trésorerie nécessaire mais, parfois également, en renforçant la structure financière des entreprises qui aura été affaiblie par cette crise.
Les banques respectent leurs engagements en accordant largement les PGE et les refus sont argumentés face à des situations d’entreprises dont la structure financière est détériorée. Dans ces situations, un refus peut se justifier car l’entreprise ne sera pas capable de rembourser ce qui reste un prêt. Même si le PGE n’est remboursable qu’au bout d’un an et que l’emprunteur puis ensuite demander à étaler le remboursement sur 5 ans, cette possibilité n'est pas forcément adaptée pour toutes les entreprises.
La médiation pourra apporter des solutions dans un certain nombre de cas (et les résultats sur le mois d’avril le montrent) mais il est important également de pouvoir traiter les cas où les banques maintiennent leur refus de prêt. C'est ce qui est prévu par la loi de finances rectificative avec un fonds d'un milliard de prêts directs de l'État pour les entreprises de taille intermédiaire et des avances remboursables pour les petites et moyennes entreprises. Pour les très petites entreprises, le fonds de solidarité a été élargi et un dispositif de prêts participatifs a été mis en place.
Ces dispositifs seront gérés par les services départements et régionaux de l’État et la médiation du crédit y jouera un rôle mais c’est la viabilité du modèle économique de l’entreprise qui devra être prise en compte en mobilisant les différents types de besoins.
La crise, violente, a nécessité des réponses urgentes pour répondre aux besoins de trésorerie. La sortie de crise va justifier un plan de relance aux composantes variées. Des plans sectoriels pour les secteurs les plus affectées mais aussi des mesures plus structurelles et forcément sélectives pour renforcer la structure financière d’entreprises qui sortiront affaiblies de cette crise.

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InterventionFrédéric Visnovsky
La médiation du crédit
  • Publié le 24/06/2020
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